mercredi 8 juillet 2009

La famille et la paroisse

LA FAMILLE ET LA PAROISSE

 

Extraits de la conférence prononcée en anglais par le

Père Antoine Gavalas

le 20 juillet 1980 à Seattle, U.S.A.

 

Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.

 

Béni soit le Nom de notre Seigneur et Sauveur, l’Auteur de notre salut, Lui Qui pour notre salut a établi nos familles et nos paroisses, entourant leur croissance de Ses soins.

 

Il m’a été demandé de parler sur le sujet des relations entre ces deux communautés instituées par Dieu, la paroisse et la famille.

 

À ce point de notre histoire comme peuple de Dieu, ce n’est pas tant l’hostilité que l’incompréhension que rencontrent tout à la fois la famille et la paroisse. J’envisagerai l’ensemble de la question d’un point de vue orthodoxe: je n’aborderai les attitudes du monde qui nous entoure que dans la mesure où elles ont une influence (le plus souvent négative) sur nos propres attitudes. Nous pouvons tenir pour acquis qu’en dehors de l’Orthodoxie il n’existe aucune compréhension correcte de ce que sont la famille et la paroisse, telles qu’elles ont été divinement instituées.

 

Pourtant, même dans les milieux orthodoxes, nous avons conscience d’incompréhensions. Au lieu d’être comprise comme l’Église Catholique locale, l’image complète du corps du Christ Qui est entier et complet, la paroisse locale est bien souvent perçue comme une unité administrative, un module commode pour la dissémination des directives et la perception de sommes dues à l’autorité centrale. Le prêtre paroissial cesse d’être le père de la paroisse pour devenir celui qui administre les “rites”, un employé facilement remplaçable. Il n’est pas jusqu’à l’autorité souveraine de l’évêque local qui n’ait été diluée.

 

Chez beaucoup d’orthodoxes nous constatons l’existence d’incompréhensions similaires au sujet de la famille. Là aussi l’ordre hiérarchique à été remplacé par la démocratie ou, pour employer le terme exact, par le chaos. La fonction réelle de la hiérarchie traditionnelle de l’amour et de la sollicitude véritable est maintenant perçue comme une tyrannie. Aussi nos familles sont-elles devenues la proie des nombreuses modes actuelles, les moindres n’étant pas le “féminisme” et le gouvernement des familles par les enfants. Embarrassés et peut-être intimidés par les jugements contemporains sur leur rôle traditionnel de chef de famille dans une société aujourd’hui égalitaire, bien des pères ont abandonné leur famille au chaos. Et devant la dévaluation moderne de leur rôle unique de mère, ce rôle qui modèle la face du monde, leurs épouses se sont convaincues qu’elles serviraient mieux la “société” et “elles-mêmes” en tenant des positions des dans le monde industriel plutôt qu’en se consacrant à des tâches “serviles” au foyer: elles ont abandonné leur famille. Les enfants sont les victimes ultimes de ce double abandon. Pour compliquer les choses, une tendance croissante se manifeste à voir ces jeunes mal servis et mal préparés remplir le vide laissé par l’abdication des parents qui ont failli à leur rôle et démissionné de leur autorité. Ne possédant ni l’expérience, ni les connaissances, ni — et c’est le plus important — la bénédiction de Dieu pour ce faire, ces enfants se mettent à se diriger eux-mêmes et jusqu’à la famille entière, avec les résultats que l’on peut escompter.

 

Les termes de paroisse et de famille sont presque interchangeables. Nous allons de l’un à l’autre sans presque nous en apercevoir. Pour le reste de ma présentation, comprenons bien que paroisse et famille sont la même chose. La paroisse est simplement une famille élargie, plus vaste. Les deux trouvent leur raison d’exister dans le même but: permettre à leurs membres de travailler à leur salut à travers les mystères de la Sainte Église Orthodoxe. Le bien-être et la santé des deux communautés sont indissociables: une paroisse saine et vigoureuse est constitué de familles saines et vigoureuses. Des familles saines vivant dans la révérence de Dieu composent une véritable Église locale.

 

La paroisse est formée par les familles qui veillent avec sollicitude à sa croissance. Bien sur, cela n’exclut en aucune manière les membres de la paroisse qui ne sont pas mariés. Eux aussi entrent dans le cercle, ils sont formés par des familles et ne font qu’un avec elles. Ceux qui ne sont pas encore mariés, ceux qui sont dans le veuvage, tous sont de la famille. Personne ne vit seul dans une véritable paroisse orthodoxe.

 

L’amour, Dieu est amour. La principale façon dont notre Dieu trinitaire S’est manifesté Lui-même à nous est précisément par cette énergie, cette activité que nous appelons l’amour. L’amour est entre les personnes de la Sainte Trinité. L’amour est dans toutes les actions qu’Il entreprend envers nous. Il nous a créés par amour. Il nous a donné Son Paradis par amour. Quand nos premiers parents ont péché, qu’ils ont été expulsés de l’Éden, c’est Son amour et Sa promesse qui ont soutenu l’humanité, et tout spécialement l’ancien Israël, par le raffinage purificateur qui a pris place dans le creuset des temps vétéro-testamentaires. Notre sainte Théotokos, la Toute Pure et toujours Vierge Marie, est la distillation, le vaisseau d’or pur, le résultat de l’action de l’amour de Dieu.

 

Et “Dieu a tant aimé le monde qu’Il a donné Son Fils Unique pour que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais reçoive la vie éternelle”. Notre salut que nous recevons des mains mêmes de Dieu, nous le devons à Son amour.

 

Faut-il s’étonner si la culture de l’amour est de tous les travaux de la famille comme de la paroisse le plus important, l’oeuvre primordiale? L’amour de l’un pour l’autre est le chemin du paradis. l’amour est notre voie pour Le Royaume Céleste, car c’est notre Seigneur Lui-même Qui a tracé pour nous ce sentier, Qui a marché sur ce chemin quand Il a incliné les cieux pour visiter notre pauvreté. Et c’est ainsi que nous devons gravir le chemin de l’amour qui mène jusqu’à Lui.

 

C’est l’absence de cet amour qui cause la désintégration des paroisses et des familles. Quand il n’y a pas d’amour dans une paroisse, les gens partent à la dérive. Ils cherchent ailleurs l’amour et le sentiment d’appartenir à une communauté: dans les cultes, le sexe, les faux-amis, la drogue.

 

Il faut que nos paroisses et nos familles soient saturées d’amour et d’expressions d’affection. Sous toutes ses formes — l’amour et la révérence de Dieu, l’amour des uns pour les autres, l’aumône, le baiser de paix, l’accolade d’un amour honnête et sincère — l’amour doit imprégner, diriger chacune de nos actions, ou être la règle, même quand nous devons châtier pour corriger une faute. Et certes, aussi bien dans le sentiment de celui qui corrige que dans la façon dont la correction est acceptée, il existe une différence entre la correction qui provient d’une sollicitude aimante et la punition née d’un esprit hargneux et sans amour. Dans une paroisse il en va ainsi que l’a dit Saint Paul: “nous pleurons avec ceux qui pleurent, nous nous réjouissons avec ceux qui se réjouissent, nous portons les fardeaux et les afflictions des autres comme s’il s’agissait des nôtres, puisque nous sommes tous membres les uns des autres et du Christ, notre Seigneur.”

 

À ce sujet nous aimerions souligner que nous devons toujours avoir une vision positive des choses. Trop souvent nous, les orthodoxes, nous exprimons en termes négatifs notre foi admirable et glorieuse et la vie que nous sommes appelés à vivre. Nous faisons la liste de ce à quoi nous sommes opposés. Mais des attitudes et des assertions négatives ne sont pas édifiantes. Elles limitent l’esprit et ferment l’horizon sans laisser de place à la croissance. Ce n’est pas tellement ce contre quoi mais ce pour quoi nous sommes qui nous forme, qui nous fait grandir à la taille du Christ. Nous sommes pour imiter notre Seigneur. Nous sommes pour rendre notre volonté forte contre les passions par le jeûne et la prière. Nous sommes pour le fait de développer notre familiarité avec la prière afin que nos volontés deviennent une avec celle de notre Seigneur, que nos coeurs battent au rythme de la prière, que la prière nous devienne naturelle, aussi indispensable à la vie que notre respiration elle-même. Nous sommes pour laisser briller notre lumière — La lumière de Dieu qui illumine tout homme né dans Le Christ — pour que notre présence elle-même soit une présence, une force missionnaire capable de convertir d’autres à la voie orthodoxe, pour que tous les hommes glorifient notre Père Qui est aux Cieux d’une manière orthodoxe. Cela vaut plus que tous les dialogues polémiques, tous les traités universitaires, toutes les démonstrations, toutes les manifestations de ce monde que nous pourrions être tentés de copier chez nos voisins.

 

Si nos familles et par extension nos paroisses sont saturées par les vertus positives de l’obéissance, de l’humilité, de l’aumône, de l’amour, de la patience et de la crainte de Dieu, alors il n’existe aucune place pour la désobéissance, pour l’orgueil, pour l’avarice, pour l’égoïsme, pour la haine, pour la luxure.

 

Dans un foyer où le père dirige la famille en prenant toutes ses décisions dans la prière fervente, où la mère réalise que sa place honorable n’est pas celle d’une “boniche” reléguée aux viles besognes mais une charge admirable que l’on doit considérer dans la crainte et la vénération et dont elle est responsable devant le trône de Dieu, dans un tel foyer, les enfants grandissent entourés de sollicitude dans une atmosphère qui est une joie même pour les anges. Saint Niphon de Constantiana a eu une vision qui illustre ceci: il a vu près de la table d’une famille chrétienne des anges lumineux dans des vêtements éclatants qui entouraient la famille durant le repas. Mais des qu’ils entendaient un mot brutal ou injuste, ils se disperçaient comme des abeilles chassées par la fumée, et des démons hideux se répandaient autour des dîneurs.

 

Il est bien des façons dont la famille apparaît comme un parallèle de la vie liturgique de la paroisse. Cette interdépendance évidente se découvre au moment même de la fondation de la famille avec les bénédictions de l’Église sur le couple qui commence sa vie propre. Implicite dans la cérémonie du mariage se trouve toute la vie du couple chrétien: une vie de martyre au sens étymologique de témoignage, une vie qui remplacera les couronnes matérielles qui sont tenues au dessus de la tête des époux lors de la cérémonie par les couronnes incorruptibles accordées par notre Seigneur.

 

La “kat oikon ecclesia” — l’Église domestique — est fondée. Tout est là. Le coin des icônes et sa lampe à huile, reflétant la splendeur de l’église paroissiale. La vie de prières aux heures fixées, responsabilité partagée dans l’unité familiale. L’antidoron et l’eau bénite consommés quotidiennement par tous les membres de la famille, extension de l’Eucharistie et bénédiction des tâches de chaque jour. L’huile prise de la lampe brûlant devant les icônes, beaume vulnéraire et bénédiction dans la maladie et la souffrance. Les prières avant et après les repas, transfigurent la table familiale en quelque chose d’infiniment plus profond que l’heure de se repaître, un rappel des agapes des anciens chrétiens, la nourriture de l’âme et du corps. L’hospitalité dans nos foyers, enfin, l’hospitalité qui peut nous permettre d’accueillir sans le savoir des anges à notre table, comme le firent Abraham et Sarah.

 

Dans un foyer orthodoxe le cycle liturgique est vivant, il reflète et prolonge celui de la paroisse. Bien sur, la famille se préparera et participera à la Sainte Eucharistie en tant que famille. Mais plus encore, jour après jour, la famille orthodoxe s’incorporera dans le cycle des fêtes de l’Église. Les grandes fêtes sont célébrées par la participation liturgique et les coutumes traditionnelles. Le jour de la fête des saints patrons de chaque membre de la famille est particulièrement distingue et honoré.

 

Il ne faut pas passer sous silence l'importance d’observer les jeûnes prescrits par la Sainte Église. Comme saint Séraphim de Sarov l’a déclaré, quiconque n’observe pas les jeûnes n’a pas le droit de s’appeler orthodoxe. Quiconque pense qu’un enfant est trop jeune pour commencer à jeûner, qu’il se rappelle saint Nicolas qui, enfant, s’abstenait du lait de sa mère les mercredis et vendredis. Que celui qui pense que le jeûne nuit à la santé des enfants se remémore Daniel, Ananias, Azarias et Misaël. Qu’il se rappelle comment ils refusèrent de se souiller avec la nourriture interdite provenant de la table du Roi Nabuchodonosor. Qu’il se souvienne comment ils parurent plus beaux et plus vigoureux que les enfants nourris à la table du roi, après n’avoir mangé pendant la période imposée que des légumes et de l’eau. Nous servons le même Dieu que ces saints enfants servirent et adorèrent et c’est Lui qui donnera la force à ceux qui sont nés de nous.

 

Le jeûne, comme tous les autres éléments de la vie orthodoxe, ne doit pas apparaître comme quelque chose de négatif, une privation. Au contraire, nos enfants — et nous avec eux — doivent comprendre qu’un jeûne dans la prière est la voie qui mène à la suprématie de l’âme souveraine sur le corps servile; à la restauration de la hiérarchie harmonieuse qui fait prévaloir l’esprit sur la chair; au retour à la condition paradisiaque de l’homme avant sa chute; à l’avant-goût du Royaume des Cieux où il n’y aura ni boisson, ni nourriture, ni mariage.

 

Rien de tout ceci n’est ennuyeux, ni contourné, ni artificiel. Cela devient une seconde nature pour nous — mais en fait c’est précisément notre première nature — Si nous comprenons correctement notre sublime Orthodoxie, si elle est mise en pratique dans la paroisse et le foyer. Il est tant de beauté en elle, jusque dans le moindre geste, dans le moindre détail. Comme il est doux et réconfortant pour nos enfants de voir que nous, leurs parents, ne nous contentons pas de les border le soir dans leur lit: nous traçons le signe de la croix sur leur front enfantin et sur leur oreiller, appelant ainsi la bénédiction du Seigneur sur le sommeil d’une nuit réparatrice. Comme nous nous sentons fortifiés lorsqu’au matin, à l’heure de quitter nos foyers bénis d’orthodoxes, nous demandons la bénédiction de notre Sauveur pour que le jour entier soit saint, paisible et sans péché, pour que notre retour dans notre foyer et notre famille ne soit troublé d’aucune embûche. Quel témoignage de foi lorsque nous bénissons du signe de la croix toute nouvelle acquisition du foyer, un outil indispensable, un appareil ménager, reconnaissant par cela que tout vient de Dieu et confiant toute chose à Sa sainte garde.

 

Oui, que le Nom de notre Seigneur soit béni pour que de nouveau un mode de vie paroissial et familial pleinement orthodoxe fleurisse afin que lorsque tout aura été dit et fait, lorsque le monde essaiera de gagner nos paroisses et nos familles à ses voies, lorsque les séductions du démon s’efforceront dans nos coeurs de triompher de notre loyauté et de notre dévotion, lorsque nous serons mis en face du choix suprême, nous disions avec Josué: “pour moi et ma maison, c’est le Seigneur que nous adorerons, car Il est Saint”.

 

Amen

 

 

Extraits de la conférence prononcée en anglais par le père Antoine Gavalas le 20 juillet 1980 à Seattle.

Traduction de la mission francophone Saint Hilaire de Poitiers a Québec.

 

 

L’OBSERVATEUR ORTHODOXE No. 2 – Septembre 1983

ÉGLISE ORTHODOXE RUSSE À L’ÉTRANGER

Archidiocèse de Montréal et du Canada


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