mercredi 8 juillet 2009

Exhortation aux gens mariés

EXHORTATION AUX GENS MARIÉS

(Règle pastorale de saint Grégoire le Grand, III, 27)

 

Les époux doivent veiller à leur bien-être réciproque, tout en s’appliquant à ne pas déplaire à leur Maître en voulant plaire à leur conjoint. Ils doivent s’occuper des choses de ce monde d’une façon qui ne les empêche pas de désirer les choses divines, en se réjouissant des biens présents sans cesser de craindre profondément le mal éternel et en se désolant des maux temporels sans cesser d’espérer avec réconfort le bien éternel. De la sorte, sachant le caractère passager de ce à quoi ils s’occupent et la permanence de ce qu’ils désirent, ils trouvent dans l’espérance des biens célestes la force de surmonter les maux terrestres et ils échappent à la tromperie des biens présents en songeant avec appréhension aux maux du jugement à venir. Les chrétiens mariés sont donc à la fois faibles et résolus, en ce sens qu’ils ne peuvent mépriser complètement ce qui est temporel tout en pouvant s’unir par le désir à ce qui est éternel. Que l’espérance du ciel redonne donc des forces à leur esprit retenu dans les délices de la chair. S’ils se servent des choses de ce monde pendant qu’ils sont en chemin, qu’ils espèrent les choses divines vers lesquelles mène le chemin, et qu’ils ne s’attachent pas entièrement à leurs occupations présentes de crainte de voir leur échapper totalement ce vers quoi ils devaient tendre résolument. C’est ce que saint Paul enseigne d’une manière claire et concise lorsqu’il dit: “Que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas et ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas” (1 Cor. 7, 29-30).

 

Celui qui a une femme comme s’il n’en avait pas est celui qui trouve auprès d’elle le réconfort de la chair sans que son amour pour elle le pousse à de mauvaises actions qui le détournent d’un objectif supérieur. Celui qui a une femme comme s’il n’en avait pas est celui qui, constatant que tout est passager, se soucie par nécessité des soins de la chair tout en aspirant aux joies éternelles de l’esprit. De plus, pleurer comme si on ne pleurait pas consiste à s’attrister des malheurs qui nous viennent du dehors, tout en sachant se réjouir dans la consolation de l’espérance éternelle. De la même manière, se réjouir comme si on ne se réjouissait pas consiste à se réconforter dans les choses d’ici-bas sans se départir de sa crainte face aux choses d’en haut. Saint Paul ajoute judicieusement un peu après: “Car la figure de ce monde passe” (v.31), ce qui revient à dire: n’aimez pas ce monde comme s’il était votre demeure permanente, parce que ce monde que vous aimez n’a en lui même aucune permanence: c’est en vain que vous fixez sur lui votre amour comme s’il allait durer, alors que ce que vous aimez n’a en soi aucune fixité.

 

Il arrive que les époux se mécontentent l’un de l’autre ; ils doivent alors supporter avec patience la source du mécontentement et y remédier par de sages exhortations. Il est écrit en effet: “Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ” (Gal.6,2). La loi du Christ est la charité, puisque par elle, le Christ nous a dispense généreusement ses bontés et a patiemment supporté nos méchancetés. Nous accomplissons donc la loi du Christ lorsque nous l’imitons en dispensant généreusement nos bontés à nos amis et en supportant pieusement leurs méchancetés. Les époux doivent aussi faire moins attention à ce que l’autre leur fait endurer qu’à ce qu’ils font endurer à l’autre, puisque l’on supporte ce que l’on subit des autres lorsqu’on réfléchit à ce qu’on leur fait subir.

 

Les époux doivent se rappeler que leur union a pour but la procréation ; ils doivent réaliser que lorsqu’ils mettent l’acte de procréation au service du plaisir par des relations immodérées, ils dépassent les justes limites du lien conjugal sans pour autant outrepasser ce lien lui-même. Nous les exhortons donc instamment à cesser de déformer la beauté de l’union conjugale en y mêlant le plaisir. C’est de cela que parle l’Apôtre expert en médecine céleste, lorsqu’il propose un remède aux faibles plutôt qu’une règle de vie aux biens portants en disant: “Il est bon que l’homme s’abstienne de la femme, mais à cause de la fornication, que chaque homme ait une femme et que chaque femme ait un mari” (1 Cor. 7,1-2). Puisqu’il présuppose la crainte de la fornication, il ne donne certainement pas un précepte à ceux qui se tiennent debout, mais il indique le lit à ceux qui défaillent pour éviter qu’ils ne tombent sur le sol.

 

C’est pourquoi il ajoute à l’intention de ceux qui sont encore faibles: “Que le mari se refuse pas à sa femme, et que la femme ne se refuse pas à son mari” (v.3) ; leur permettant une certaine mesure de plaisir dans le très honorable état du mariage, il ajoute pourtant: “Je dis cela par indulgence, et non comme un commandement” (v.6). Qui dit indulgence dit manquement, mais celui-ci est d’autant plus facilement pardonné qu’il ne s’agit pas d’un interdit mais du manque de contrôle d’un acte permis. Cette réalité est illustrée par Lot qui fuit Sodome en flammes et s’arrête à Zoar sans se rendre au sommet des montagnes. Fuir Sodome en flamme signifie éviter les ardeurs illicites de la chair. Par contre, le sommet des montagnes est la pureté des continents, ou tout au moins de ceux qui limitent leurs relations à la procréation sans se perdre dans les plaisirs charnels. Se tenir sur la montagne signifie donc de ne rechercher dans la chair que la procréation et avoir pour la chair un attachement qui n’est pas charnel. Il y en a pourtant beaucoup qui abandonnent les péchés de la chair mais qui ne peuvent garder la juste mesure dans leurs relations maritales. C’est ainsi que Lot est sorti de Sodome sans pour autant parvenir tout de suite au sommet des montagnes, ce qui illustre l’abandon d’une vie condamnable sans que soit tout à fait atteinte les hauteurs de la continence conjugale. Il y a à mi-chemin la ville de Zoar pour le salut du faible fugitif. Autrement dit, les époux dont les relations sont incontinentes évitent par là de tomber dans le péché et sont sauvés par miséricorde. Ils trouvent pour ainsi dire une petite ville où ils sont protégés du feu, puisque cette vie maritale est exempte de punition même si elle ne rayonne pas de vertu. C’est pourquoi Lot dit à l’ange: « Voici une ville toute proche où je peux fuir, elle est petite et j’y serai sauvé. N’est-elle pas petite et mon âme ne pourrait-elle pas y vivre? » (Gn. 19,20). II dit qu’elle est proche, mais il en parle comme d’un refuge sûr, puisque cette vie maritale n’est pas très éloignée du monde mais participe tout de même à la joie de la sécurité. Les époux qui se comportent de la sorte préservent leur vie comme dans une petite ville d’où ils intercèdent l’un pour l’autre par des supplications continuelles. C’est pourquoi l’ange répond à Lot: “J’ai accepté tes prières à ce sujet et je ne détruirai pas la ville dont tu as parlé » (Gn. 19,21). En vérité une telle vie maritale n’est aucunement condamnée lorsqu’on en supplie Dieu. Pau exhorte aussi à de telles supplications lorsqu’il dit : « Ne vous refusez pas l’un à l’autre, sauf par consentement mutuel et pour un temps, pour vous adonner à la prière » (1 Cor. 7:5)

 

 

L’OBSERVATEUR ORTHDOXE

ISSN 0824- 653X

MARS 1985 No 7


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